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Samy San

Par Marion Vasseur Raluy (FR)

Les sculptures de Samy San renvoient à l’imaginaire de l’enfance et de la science-fiction et puisent leurs sources dans la culture mainstream. Ses œuvres rappellent les jouets ou les maquettes d’enfants. Cubes en bois des années 70, composants de jeux des années 90, pièces de laboratoire, de quincaillerie et de plomberie, éléments trouvés dans la rue constituent un ensemble de formes. Tous sont choisis à la même échelle. Récupérés, chinés ou simplement achetés, ils sont ensuite dépouillés, classés et ordonnés.

Certains distingueront une petite gamelle pour chat, un objet chéri de l’enfance, d’autres reconnaitront les touches de leur ancienne machine à écrire. Un œil aguerri pourra en faire émerger des souvenirs personnels. Récemment, de nouvelles combinaisons sont apparues. Des pièces trouvées directement en ligne sur des banques de fichiers libres sont ensuite imprimées en 3D. Des emballages de protection d’ordinateur, de paquets de gâteaux ou d’outils électriques deviennent des moules pour couler du latex, du plâtre et du silicone. L’artiste allie des nouveaux moyens technologiques en s’appuyant toujours sur des techniques d’appropriation ou de récupération.

Dans « Le code du guerrier du samouraï », Jocho Yamamoto prescrit des règles de conduite dont la rigidité et la rigueur sont les piliers principaux. Le travail de l’artiste se caractérise par la même discipline. D’une part, il se contraint à n’utiliser qu’un certain nombre de matériaux, comme le fabricant de jouets, à qui la norme impose un nombre de pièces limitées. Chaque sculpture suggère une silhouette anthropomorphe et symétrique. D’autre part, l’artiste se contente d’un nombre restreint de couleurs. Tout comme les fabricants qui ne vont se servir que d’une quantité minimum de teintes pour constituer une palette plus ou moins vive en fonction des âges. Ainsi les enfants entre 0 et 2 ans seraient plus enclins à saisir des objets aux tons pastel. Tandis que les adolescents seraient, eux, plus sensibles aux nuances plus sombres. Dans les deux cas, que ce soit pour les matériaux ou pour la couleur, ces obligations sont principalement économiques. C’est donc dans un but purement mercantile que ces choix sont effectués.

Samy San lui, entretient ces exigences pour mieux se jouer du regard du spectateur qui est happé par des éléments qu’il reconnaît tout en se trouvant dans l’impossibilité de les saisir pour jouer. Il intervertit le désir de consommer par le désir de regarder. Prolongeant cette réflexion à notre relation à la consommation des objets, son œuvre fait aussi écho à certains mouvements du design, notamment au groupe Memphis, porté par le designer Etorre Sotsass. Ce collectif se caractérisait par une sélection des formes innovantes et naïves, des teintes vives, du matériel inhabituel et bon marché. Des analogies se rencontrent entre ce groupe de Memphis et l’artiste. Néanmoins, s’il vient flirter avec le monde du design dans ses modes de production, il n’y est pas affilié dans sa représentation finale.

Les références au monde de l’enfance, aux dessins animés japonais et américains et à la culture manga, comme « Dragon Ball Z » ou « Sailor Moon » sont récurrentes. C’est sans doute à travers ses voyages au Laos, au Vietnam, en Chine, en Thaïlande et au Japon pendant deux années que s’est forgé ce gout et cette ouverture vers la culture asiatique. La culture populaire, dite mainstream, a beaucoup influencé la génération née entre les années 1980 et 1990.

Elle fut le vecteur de messages et de codes forts. L’enfance et l’adolescence étaient alors principalement marquées par les divertissements télévisuels. Ce goût se retrouve dans ses socles de pierres bombées à la peinture. Ils évoquent des « Warhamer » ou d’autres maquettes pour adultes, permettant la reconstitution d’histoires ou d’évènements. L’artiste s’extrait du monde miniature de l’enfance. Il dévoile un écosystème qui n’est plus soumis à des impératifs d’âge. Ses productions peuvent faire quelques centimètres comme atteindre deux mètres de hauteur. Il propose le règne du jeu pour tous les âges ou l’art pour tous.

Certes la prégnance du monde du jouet et de la culture mainstream est flagrante mais elle s’appuie avant tout sur un désir et une soif d’imagination. Dans le catalogue « Only make believe : ways of playing », la commissaire Marina Warner interpelle le pouvoir imaginatif des histoires que les enfants s’inventent et pose la question de savoir comment cette capacité s’exprime avant et au delà de la raison, au travers de fantasmes immoraux. L’imaginaire s’illustre chez l’artiste par des références concrètes au domaine de la science-fiction. Ses sculptures sont de petits personnages venus d’une planète lointaine. Elles empruntent leur silhouette à celles des robots ou des extraterrestres des films ou des livres, détentrices d’une utopie possible. Le spectateur garde le pouvoir de projeter sur elles une histoire dystopique ou chimérique. C’est aussi la possibilité d’éclosion d’une nouvelle société. L’imagination et la créativité ont souvent été synonymes de la croyance dans un monde meilleur. Dans les projets d’Alejandro Jodorowsky, les univers ont souvent des attentions quasi démiurgiques. Que ce soit dans la bande dessinée « l’Incal » ou le film jamais réalisé « Dune », la science-fiction s’inscrit dans un rapport fort à la spiritualité. Il faut avoir foi en quelque chose pour que ceci fasse sens. Robert Heinlein, autre figure éminente de la science-fiction, propose des histoires qui sont toujours des hypothèses de sociétés futures. L’organisation de cette collectivité fictive est à l’origine de la créativité même si elle peut parfois paraître naïve.

Cette simplicité des formes dans les œuvres de l’artiste, la relation à l’enfance et au jeu, à la science fiction et à la spiritualité, laisse souvent songeur. Cette pratique obsessionnelle et faussement innocente ne pourrait-elle pas affilier un tel travail à l’Art Brut ? Mais cela serait nier les nombreuses références à l’histoire de l’art. Il est aisé de reconnaître des emprunts à l’art moderne comme certaines œuvres qui rappellent Picasso ou Braque. D’autres sont des clins d’œil à des artistes spécifiques comme Matthew Barney dans son film « Cremaster ». De même, les gammes de teintes rappellent le pop art et Ken Price. Tout en se référant à ces différentes périodes, Samy San s’en amuse et pose un regard malicieux sur l’art. En prenant cette posture, il rappelle l’ouvrage de Jean-Yves Jouannais dédié à la figure de l’idiot. Intitulé « L’idiotie : art, vie, politique et méthode », le livre tente de retracer l’histoire et la figure de l’idiot dans l’art en s’appuyant sur des artistes du XXème siècle. Il évoque ainsi Alfred Jarry, Marcel Duchamp ou encore Martin Kippenberger. Dans son introduction l’auteur définit l’idiotie : « L’idiotie est opposée à la prétention, à ce qui s’efforce de faire accroire à de la profondeur là où il n’y a que du sérieux, la prétention qui n’est pas tant l’utilisation performante de l’intelligence qu’un usage de la culture à des fins d’intimidations. (…) C’est encore cette prétention contre laquelle se battra Jean Dubuffet dans sa croisade contre L’asphyxiante culture ». On retrouve ce précepte de l’imbécile dans la culture japonaise et particulièrement dans celle des samouraïs. Dans le film « Zatoichi » de Takeshi Kitano, le personnage se fait passer pour aveugle, il feint la faiblesse pour tromper ses ennemis. Samy San s’inscrit dans cette lignée d’artistes, qui sous couvert de simplicité et d’humour, va à l’encontre d’une certaine image de ce que doit être l’art, empreinte de sérieux et de prétention. Tout en respectant les différents courants traversés par l’histoire de l’art, il s’affranchit de ces derniers et propose à travers l’utilisation de sculptures aux allures de jouets une forme de langage universelle. Il s’agit pour lui avant tout d’offrir un ensemble de mondes possibles, où il est encore autorisé de réfléchir, d’imaginer et de construire sans jugement et sans restriction.
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Par Marion Vasseur Raluy (FR)

Les sculptures de Samy San renvoient à l’imaginaire de l’enfance et de la science-fiction et puisent leurs sources dans la culture mainstream. Ses œuvres rappellent les jouets ou les maquettes d’enfants. Cubes en bois des années 70, composants de jeux des années 90, pièces de laboratoire, de quincaillerie et de plomberie, éléments trouvés dans la rue constituent un ensemble de formes. Tous sont choisis à la même échelle. Récupérés, chinés ou simplement achetés, ils sont ensuite dépouillés, classés et ordonnés.

Certains distingueront une petite gamelle pour chat, un objet chéri de l’enfance, d’autres reconnaitront les touches de leur ancienne machine à écrire. Un œil aguerri pourra en faire émerger des souvenirs personnels. Récemment, de nouvelles combinaisons sont apparues. Des pièces trouvées directement en ligne sur des banques de fichiers libres sont ensuite imprimées en 3D. Des emballages de protection d’ordinateur, de paquets de gâteaux ou d’outils électriques deviennent des moules pour couler du latex, du plâtre et du silicone. L’artiste allie des nouveaux moyens technologiques en s’appuyant toujours sur des techniques d’appropriation ou de récupération.

Dans « Le code du guerrier du samouraï », Jocho Yamamoto prescrit des règles de conduite dont la rigidité et la rigueur sont les piliers principaux. Le travail de l’artiste se caractérise par la même discipline. D’une part, il se contraint à n’utiliser qu’un certain nombre de matériaux, comme le fabricant de jouets, à qui la norme impose un nombre de pièces limitées. Chaque sculpture suggère une silhouette anthropomorphe et symétrique. D’autre part, l’artiste se contente d’un nombre restreint de couleurs. Tout comme les fabricants qui ne vont se servir que d’une quantité minimum de teintes pour constituer une palette plus ou moins vive en fonction des âges. Ainsi les enfants entre 0 et 2 ans seraient plus enclins à saisir des objets aux tons pastel. Tandis que les adolescents seraient, eux, plus sensibles aux nuances plus sombres. Dans les deux cas, que ce soit pour les matériaux ou pour la couleur, ces obligations sont principalement économiques. C’est donc dans un but purement mercantile que ces choix sont effectués.

Samy San lui, entretient ces exigences pour mieux se jouer du regard du spectateur qui est happé par des éléments qu’il reconnaît tout en se trouvant dans l’impossibilité de les saisir pour jouer. Il intervertit le désir de consommer par le désir de regarder. Prolongeant cette réflexion à notre relation à la consommation des objets, son œuvre fait aussi écho à certains mouvements du design, notamment au groupe Memphis, porté par le designer Etorre Sotsass. Ce collectif se caractérisait par une sélection des formes innovantes et naïves, des teintes vives, du matériel inhabituel et bon marché. Des analogies se rencontrent entre ce groupe de Memphis et l’artiste. Néanmoins, s’il vient flirter avec le monde du design dans ses modes de production, il n’y est pas affilié dans sa représentation finale.

Les références au monde de l’enfance, aux dessins animés japonais et américains et à la culture manga, comme « Dragon Ball Z » ou « Sailor Moon » sont récurrentes. C’est sans doute à travers ses voyages au Laos, au Vietnam, en Chine, en Thaïlande et au Japon pendant deux années que s’est forgé ce gout et cette ouverture vers la culture asiatique. La culture populaire, dite mainstream, a beaucoup influencé la génération née entre les années 1980 et 1990.

Elle fut le vecteur de messages et de codes forts. L’enfance et l’adolescence étaient alors principalement marquées par les divertissements télévisuels. Ce goût se retrouve dans ses socles de pierres bombées à la peinture. Ils évoquent des « Warhamer » ou d’autres maquettes pour adultes, permettant la reconstitution d’histoires ou d’évènements. L’artiste s’extrait du monde miniature de l’enfance. Il dévoile un écosystème qui n’est plus soumis à des impératifs d’âge. Ses productions peuvent faire quelques centimètres comme atteindre deux mètres de hauteur. Il propose le règne du jeu pour tous les âges ou l’art pour tous.

Certes la prégnance du monde du jouet et de la culture mainstream est flagrante mais elle s’appuie avant tout sur un désir et une soif d’imagination. Dans le catalogue « Only make believe : ways of playing », la commissaire Marina Warner interpelle le pouvoir imaginatif des histoires que les enfants s’inventent et pose la question de savoir comment cette capacité s’exprime avant et au delà de la raison, au travers de fantasmes immoraux. L’imaginaire s’illustre chez l’artiste par des références concrètes au domaine de la science-fiction. Ses sculptures sont de petits personnages venus d’une planète lointaine. Elles empruntent leur silhouette à celles des robots ou des extraterrestres des films ou des livres, détentrices d’une utopie possible. Le spectateur garde le pouvoir de projeter sur elles une histoire dystopique ou chimérique. C’est aussi la possibilité d’éclosion d’une nouvelle société. L’imagination et la créativité ont souvent été synonymes de la croyance dans un monde meilleur. Dans les projets d’Alejandro Jodorowsky, les univers ont souvent des attentions quasi démiurgiques. Que ce soit dans la bande dessinée « l’Incal » ou le film jamais réalisé « Dune », la science-fiction s’inscrit dans un rapport fort à la spiritualité. Il faut avoir foi en quelque chose pour que ceci fasse sens. Robert Heinlein, autre figure éminente de la science-fiction, propose des histoires qui sont toujours des hypothèses de sociétés futures. L’organisation de cette collectivité fictive est à l’origine de la créativité même si elle peut parfois paraître naïve.

Cette simplicité des formes dans les œuvres de l’artiste, la relation à l’enfance et au jeu, à la science fiction et à la spiritualité, laisse souvent songeur. Cette pratique obsessionnelle et faussement innocente ne pourrait-elle pas affilier un tel travail à l’Art Brut ? Mais cela serait nier les nombreuses références à l’histoire de l’art. Il est aisé de reconnaître des emprunts à l’art moderne comme certaines œuvres qui rappellent Picasso ou Braque. D’autres sont des clins d’œil à des artistes spécifiques comme Matthew Barney dans son film « Cremaster ». De même, les gammes de teintes rappellent le pop art et Ken Price. Tout en se référant à ces différentes périodes, Samy San s’en amuse et pose un regard malicieux sur l’art. En prenant cette posture, il rappelle l’ouvrage de Jean-Yves Jouannais dédié à la figure de l’idiot. Intitulé « L’idiotie : art, vie, politique et méthode », le livre tente de retracer l’histoire et la figure de l’idiot dans l’art en s’appuyant sur des artistes du XXème siècle. Il évoque ainsi Alfred Jarry, Marcel Duchamp ou encore Martin Kippenberger. Dans son introduction l’auteur définit l’idiotie : « L’idiotie est opposée à la prétention, à ce qui s’efforce de faire accroire à de la profondeur là où il n’y a que du sérieux, la prétention qui n’est pas tant l’utilisation performante de l’intelligence qu’un usage de la culture à des fins d’intimidations. (…) C’est encore cette prétention contre laquelle se battra Jean Dubuffet dans sa croisade contre L’asphyxiante culture ». On retrouve ce précepte de l’imbécile dans la culture japonaise et particulièrement dans celle des samouraïs. Dans le film « Zatoichi » de Takeshi Kitano, le personnage se fait passer pour aveugle, il feint la faiblesse pour tromper ses ennemis. Samy San s’inscrit dans cette lignée d’artistes, qui sous couvert de simplicité et d’humour, va à l’encontre d’une certaine image de ce que doit être l’art, empreinte de sérieux et de prétention. Tout en respectant les différents courants traversés par l’histoire de l’art, il s’affranchit de ces derniers et propose à travers l’utilisation de sculptures aux allures de jouets une forme de langage universelle. Il s’agit pour lui avant tout d’offrir un ensemble de mondes possibles, où il est encore autorisé de réfléchir, d’imaginer et de construire sans jugement et sans restriction.
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